março 16, 2013


«Qu’est-ce donc, mon garçon, qui t’a plongé dans la mélancolie et le désespoir? Tu as vu, j’en suis sûre, quelque chose d’extraordinaire et d’inhabituel. Tu penses que la Fortune a changé à ton égard: tu te trompes!

Elle a toujours les mêmes pratiques: c’est dans sa nature. Elle est restée à ton égard constante, à vrai dire, dams son inconstance même. Elle était la même quand elle te flattait, quand elle se jouait de toi en te faisant miroiter un faux bonheur.

Tu as découvert le double visage de cette puissance aveugle. Alors qu’elle dissimule encore son vrai visage aux autres, devant toi, elle a véritablement jetée le masque. Si tu l’apprécies, aie recours à ses pratiques; ne t’en plains pas. Mais si sa duplicité te fait horreur, dédaigne-la, repousse-la: ses jeux sont funestes. Au lieu de provoquer en toi tout ce désespoir, elle aurait dû te procurer la tranquillité. Car au moins elle t’a laissé, alors que personne ne peut jamais avoir la certitude de la garder auprés de soi.

Accorde-tu vraiment du prix à un bonheur en sursis? Et apprécies-tu la présence à tes côtés d’une Fortune dont tu n’est pas sûr qu’elle reste et dont le départ te plongerá dans le désespoir? Si on ne peut la retenir comme ont veut et si elle séme la catastrophe derrière elle, qu’est-elle d’autre, cette inconstante, que le signe annonciateur de la catastrophe?

Il ne suffit pas de regarder la situation qu’on a sous les yeux; la sagesse consiste à évaluer la finalité de toutes choses et c’est précisément cette faculté de passer d’un extrême à l’autre qui ne rend pas redoutables les menaces de la Fortune, ni souhaitables, ses séductions.

Enfin, tu dois tolérer sans te plaindre tout ce qui s’accomplit à l’intérieur du champ d’action de la Fortune, une fois que tu as accepté son joug sur ta nuque.»

Boèce, Consolation de la Philosophie (524 d.C.),
Préface de Marc Fumaroli, Paris, Éditions
Payot & Rivages, pp.72-3

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